Le Bocage - Journal du jardin


Carnet d'observations, d'expérimentations et de réflexions

dans le cours du jardinage d'un boisé en Haute-Amérique


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29 décembre 2006

Racines grand-maternelles
(ou pourquoi je jardine...)

Ensoleillé, maximum - 7 °C.

Aujourd'hui, poursuite du débittage après ma première marche sur le lac qui vient tout juste de geler. J'ai testé mon gréement hivernal. Pas les vêtements, je les ai amplement testés par très grand froid. Je parle du sécateur à main qui opère moins bien, le ressort s'engourdit. Je parle aussi des mes gants de travail en cuir souple. Dans une main, j'avais mis une doublure en Goretex ; dans l'autre, une en laine fine. Le Goretex est nettement supérieur.

* * *

Les célébrations familiales du temps des Fêtes m'ont ramené le souvenir de ma grand-mère maternelle. Et soudain, j'ai réalisé que depuis près de trois ans j'aménageais Le Bocage en souvenir du val, boisé en plusieurs endroits, limitant la terre de Grand-mère, ma marraine, dont j'ai été proche enfant. Veuve depuis longtemps, elle m'invitait souvent hebdomadairement à aller dormir chez elle. Elle était levée depuis déjà bien longtemps lorsqu'elle préparait mon petit déjeuner. Je me souviens si vivement du silence calmant de la cuisine interrompu seulement par les bonds réguliers de la trotteuse de l'horloge, du Soleil matinal qui baignait et réchauffait mon visage et la place où je m'assoyais, de l'odeur et du gout du thé chaud que je ne prenais que chez elle, du gout des tartines à la confiture de fraise. Les autres matins, Grand-mère venait se joindre à nous alors que nous petit-déjeunions avant le départ pour l'école. Ce moment marquait la fin de sa tournée quotidienne de nettoyage de l'ancienne terre. À notre amusement à tous, Grand-maman déposait alors invariablement sa poignée de détritus sur la table de cuisine, au grand agacement de ma mère qui lui rappelait également chaque fois l'emplacement de la poubelle.

Mes grands-parents avaient une petite terre dont la limite nord-ouest était un gros ruisseau. C'était d'ailleurs deux ruisseaux qui se joignaient à notre hauteur. Je dis « notre » parce que j'ai grandi sur cette terre. Grand-mère avait vendu des parcelles. Quatre maisons se suivaient ainsi de celle de grand-mère à la nôtre, en passant par celles de deux autres familles d'un frère et d'une soeur de ma mère.

Or, Le Bocage (photo du Sentier Nord ci-contre) marque également la limite nord-ouest du jardin arrière de ma maison à la campagne. Il était autrefois traversé d'un ruisseau. Or lorsque j'ai établi un réseau de rigoles, je n'ai pas suivi rigoureusement le tracé de l'ancien lit. J'ai plutôt formé deux ruisselets qui se joignent pour ne plus en constituer qu'un seul.

Notre pente qui menait aux ruisseaux était abrupte, un bon 60 %. Celle d'en face, plutôt douce. Même dans la septantaine, Grand-mère, descendait et escaladait allègrement cette côte pour la nettoyer. Notamment pour éclaircir les framboisiers qui poussaient sur une portion du flanc. Nous disions d'ailleurs qu'elle était « chevreux » (terme qui évoque autant la chèvre qu'il désigne en fait le cerf de Virginie). La descente menant au Bocage puis aux nouveaux ruisselets est au moins aussi abrupte et celle en face nettement plus douce. La pente est tout aussi dangereuse. Pourtant, je répugne encore à y installer l'escalier prévu depuis le début. Enfant, le bord des ruisseaux et le boisé derrière chez mon oncle Maurice ou celui au confluent des ruisseaux étaient des refuges. J'y étais ailleurs, dans un autre monde, tranquille, loin des rumeurs du village, à l'abri des regards et des bruits. Depuis près de trois ans, je me réfugie maintenant au Bocage quelques heures chaque jour où je suis à la campagne. Un escalier faciliterait trop l'accès. Oh, je finirai bien par le construire. Je crois cependant que j'installerai auparavant une barrière qui rappellera qu'il faudra demander permission pour entrer ainsi en mon jardin secret.

Mon oncle Maurice entaillait au printemps les érables derrière chez lui pour en recueillir la sève sucrée. Le Bocage est une érablière à bouleau jaune. La première grande platebande que je comptais y implanter sera entièrement couverte de pétasites. Or justement, derrière chez mon oncle, il y avait des talles de rhubarbes que nous machouillions crues en en cassant le goût suret avec du sucre.

Les tous premiers arbustes que j'ai planté au Bocage sont des sureaux blancs (sambucus canadensis) en version indigène et dorée (variété 'aurea'). Or, le tout premier alcool que je me souviens avoir pris enfant est le vin de sureau de Grand-mère. Il y avait une talle de sureaux à la limite de la terre. Leurs fruits, cueuillis en août, produisait un vin sucré et sirupeux que pouvait apprécier le palais d'un enfant. J'ai planté des sureaux blancs, des rouges (sambucus pubens - image ci-contre) et suis à ma troisième tentative d'en implanter des à grappes (sambucus racemosa, variété 'Sutherland gold').

Mon amour du jardinage est lui-même un cadeau de Grand-mère. Elle m'a appris à jardiner au potager de mes parents, et à son grand potager à elle. Elle m'a appris à prendre soin des glaïeuls, des plantes spectaculaires, très aisées à faire pousser et qui fleurissait en aout, à temps pour mon anniversaire. J'ai toujours aimer travailler la terre, la toucher, la creuser, la bêcher, l'amender, la biner. J'ai toujours aimer prendre soin des plantes.

Bref, plus ou moins inconsciemment, je reconstituais avec le Le Bocage le paysage et le refuge de mon enfance et retrouvais les gestes familiers et à travers eux, mes racines.

Pour Noël, j'ai offert à ma mère de choisir les cinq fleurs ou plantes qu'elle préfèrait le plus parmi la cent cinquantaine d'espèces que j'ai retenues. C'est à partir de son choix que je vais faire mes prochaines plantebandes. À la présence Grand-mère donc, s'ajoutera donc celle de Maman.

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