Le Bocage - Journal du jardin


Carnet d'observations, d'expérimentations et de réflexions

dans le cours du jardinage d'un boisé en Haute-Amérique


Journal             Jardin             Photos              Horticulture              Écologie             Philosophie             Varia             Liens


13 janvier 2007

Impossible d'observer directement les changements climatiques

photo M.-J. Musiol :  Ensoleillé, maximum - 7 °C.

Aujourd'hui, j'ai découvert un pin blanc (pinus strobus) de quelque sept mètres dont à peine deux portent de timides branches épineuses. Ce conifère à croissance rapide est sur le point d'atteindre le plein ensoleillement où il pourra enfin prospérer et, éventuellement, devenir un géant de 30 mètres. Demain, je vais tenter de l'y aider en dégageant un arbre ou deux autour de lui.

* * *

Cela me choque d'entendre certains climatologues tourner autour du pot lorsqu'on les interroge à savoir si tel exceptionnel évènement ou suite d'évènements météo sont ou non une manifestation des fameux changements climatiques. Ceux-là sont incapables d'affirmer clairement et sans équivoque qu'il est impossible de lier quelque occurrence météo ponctuelle à quelque changement du climat. On jurerait qu'ils ont peur de perdre leurs très indispensables fonds de recherche s'ils désembrouillaient définitivement la confusion entre météo et climat chez le grand public et les décideurs.

En effet, il faut rappeler que :

1- Tout être humain peut observer directement le temps qui fait (la météo) et ses aberrations ponctuelles (possibilité de semer en hiver ou y voir les bulbes pousser un moment ; des tomates ou des récoltes gelant en plein été à un autre moment ; tempête à déraciner des forêts entières à un autre encore ; sècheresse ou bien déluge ensuite ; etc.). Aux latitudes moyennes, la météo est une réalité très instable et variable que nous ne pouvons que ressentir immédiatement par nos sens et même dans notre chair.

2- Cependant, aucun être humain ne peut observer directement les changements du climat. Ces derniers sont trop subtils et s'étalent sur une trop longue période. Seuls sont en mesure de les « ressentir » des êtres comme les séquoias géants. Ou mieux, les pins Wollemi vieux de 100 millions d'années qui ont traversé moult glaciations et même les successions de chaleurs et froids extrêmes qui suivirent de l'impact de cette météorite qui anéantit plus de 90 % des espèces vivantes dont les dinosaures, il y a 65 millions d'années. L'être humain n'a pas la longévité, ni la sensibilité de ressentir des variations aussi infimes (à peine quelques centièmes de degré Celsius ou quelques millimètres de précipitations par an) assourdies par la cacophonie de variations quotidiennes qui peuvent osciller sur des échelles mille fois plus grandes.

Évolution des températures depuis 1869Ici, le sud-ouest du Québec est d'ailleurs un des pires endroits pour tenter des observations directes. Cette région est presque sur le 45e parallèle, soit exactement à mi-chemin équateur et pôle Nord, donc sensible aux coups de yoyo incessants entre les systèmes arctiques et tropicaux. En outre, cette région n’est pas vraiment maritime (trop loin de la mer), ni vraiment continentale (pas assez à l'intérieur des terres). La météo est donc influencée autant par l'Atlantique, la Baie d'Hudson, l'Arctique, les Plaines canadiennes, les Grands Lacs, le Golfe du Mexique. Il arrive même que deux systèmes l'attaquent simultanément. C'est d'ailleurs précisément ce qui s'est passé lors de la fameuse crise du verglas de janvier 1998 alors qu'un froid arctique s'engouffrant dans le Saint-Laurent s'est retrouvé juste en dessous d'un système chaud et humide remontant du Golfe du Mexique par le couloir du Lac Champlain. La région est même à la marge des effets de l'oscillation El Niño/La Niña, ce qui fait qu'un épisode El Niño peut très bien nous réchauffer et le suivant nous refroidir.

Bref, l'être humain n'est ni « bâti », ni bien placé pour observer directement un changement climatique, tout particulièrement en latitudes moyennes.

3- Par contre, tout être humain peut observer directement de ses propres yeux ces changements en regardant complètement autre chose que le temps qui fait. Observations indirectes donc de ceux-ci, à travers leurs effets sur des réalités relativement indifférentes aux variations ponctuelles. Les Inuits qui vivent dans l'Arctique sont ici aux premières loges. Ils voient arrivés en leurs terres plein d'êtres inconnus pour lesquels ils ne possèdent dans leur langue aucun mot pour les désigner. Tout d'abord, les arrivées (ou en d'autres termes, le déplacement des aires de distribution) d'oiseaux et d'insectes volants. Puis celles d'animaux terrestres qui se déplacent plus lentement. Puis celles enfin des plantes, donc le déplacement de la fameuse ligne des arbres qui fait reculer la toundra. Les Inuits voient aussi raccourcir à vue d'oeil la période où la mer se couvre de glace ou le recul des glaciers. Le même type d'observations peut se faire à des latitudes plus basses, mais de manière généralement moins spectaculaire : apparitions ou disparitions d'espèces volatiles en un territoire ; changements dans la capacité des plantes à être rustiques localement ; déplacements des périodes de floraisons et fructifications ; modifications de la longueur de période de gel des plans d'eau ; etc. Cependant, encore ici, ce n'est pas les variations d'une année sur l'autre qui sont significatives, mais les tendances sur des périodes plus longues, au moins de l'ordre de la décennie.

Bref, le climat est lié à la quantité totale d'énergie disponible sur la planète. La météo est seulement là où se retrouve cette énergie d'un instant à l'autre. N'oublions pas que la planète demeure, à tout fin pratique, presque aussi chaude (ou froide) une année sur l'autre. Même en suivant les scénarios les plus catastrophiques, soit 6 °C d'augmentation en 100 ans, cela ne ferait toujours qu'une moyenne de 0,06 °C par année ! Entretemps sur le plan météo, nous pouvons observer directement un hiver exceptionnellement chaud cette année dans le Nord-Est de l'Amérique du Nord et simultanément du temps exceptionnellement froid au même moment en Afghanistan. C'est-à-dire des répartitions ponctuelles particulières de l'énergie à travers la planète sur de très courtes périodes de temps.

Nous, les mordus d'horticulture, et plus encore ceux d'ornithologie, sommes très bien placés pour observer les changements climatiques... mais à condition cependant de regarder aux bons endroits.

Libellés : , , , ,