Âme du jardin et approche systémique
Le texte qui suit reprend une intervention dans une
discussion sur l'agrandissement du jardin de Clovis qui a dérivé sur la question de « comment trouver l'âme du jardin ».
Clovis écrivait qu'une fois installés les arbres et arbustes ainsi que les autres éléments construits (murets, clôture, etc.), il lui faudra au moins cinq ans pour « trouver » l'âme du jardin. « C'est la partie la plus difficile », précise-t-il. « Trouver l'âme d'un jardin, est un procédé soustractif... »
La métaphore de la sculpture sur pierre est intéressante puisqu'elle insiste sur la soustraction. C'est précisément la principale manière par laquelle je peux transformer un petit bout de forêt en jardin, soit par soustraction. En effet, il me faut littéralement tailler dans une biomasse formant un bloc de 30 mètres de large, 25 de profond et 20 de haut. Soustractions massives au début. Cette année est la troisième du projet et pourtant j'aurai encore abattu une trentaine d'arbres d'ici Noël. L'an prochain, probablement encore une bonne quinzaine. Sur à peine plus de 800 mètres carrés, c'est considérable.
Cependant, la pierre est un volume, un bloc inanimé. Un jardin est plutôt un système, vivant en plus, et croissant par surcroit. L'ajustement et la stabilisation d'un tel système ne peuvent se faire avec un seul moyen, à savoir la soustraction (même si c'est celui qu'il faut privilégié comme le souligne Clovis). L'addition, la substitution, le déplacement sont aussi disponibles. Il me faut aussi les utiliser si je désire voir le boisé, non pas seulement s'éclaircir ici, prendre du volume là, offrir une perspective ailleurs, mais se transformer aussi en jardin.
Dans tous les cas pour trouver l'âme d'un jardin, il faut le fréquenter, l'habiter. Car un jardin n'est pas qu'un système biologique. C'est une relation entre un tel système et des êtres humains. Un jardin, c'est cette relation vécue par ces êtres humains.
À force de fréquenter son jardin (notre création en principe), celui-ci peut nous surprendre.
Par exemple, j'ai attendu un an et demi de fréquentation assidue de mon boisé avant d'en tracer et défricher le sentier. Le plan initial avait prévu un sentier en lasso. Le jour venu j'ai balisé un sentier beaucoup plus grand, plutôt en triangle. C'était comme si c'était le jardin qui avait décidé pour moi. Il fallait longer une éclaircie qui allait devenir Le Salon, longer de grosses pierres erratiques moussues, traverser un coin plus dense, passer devant un massif de fougères, etc.
Même chose pour les rigoles. Cela m'a pris trois étés pour en compléter le réseau. Car il me fallait procéder par étapes. Faire très attention à ne pas complètement bouleverser un milieu presque humide (d'où la nécessité pour moi de penser ici en système). Finalement, deux des cascatelles se sont retrouvées complètement ailleurs qu'où la pure déduction des dénivellations me les avait fait voir initialement. C'était comme si le sentier (ou plus précisément, l'audition et le regard humains passant par ce sentier) avait appelé ces deux cascatelles pour qu'elles se retrouvent juste de chaque côté de lui pour marquer une transition entre deux sections. Entretemps, le sort de deux petites sections de rigoles sera décidé l'été prochain. Probablement qu'elles disparaitront parce qu'elles semblent « ne pas avoir leur place ».
L'âme du jardin n'est évidemment pas dans le microcosme biologique comme tel. Il est dans le regard de la déesse ou du dieu qui le crée. D'où la notion d'amplification de la perception du jardinier à laquelle référait Clovis. Le regard créateur qui, familier de sa créature, en perçoit l'étincelle ou le potentiel de beauté et la met en valeur, en évidence, pour son propre regard et celui des autres qui viendront visiter.
La recherche de « l'âme du jardin » n’est donc rien de plus ou de moins que l'acte d'amour du regard créateur, et envers le jardin, et envers les autres qui l'admireront, et envers le regard créateur lui-même.
Libellés : horticulture, Le Bocage, philosophie au jardin, plans
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