Le Bocage - Journal du jardin


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dans le cours du jardinage d'un boisé en Haute-Amérique


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15 décembre 2006

Seuls les milieux humides d'envergure seront sauvés

Voilà une décision qui a de quoi vous mettre en colère.

Je prends ici la liberté de reproduire intégralement l'article de Louis-Gilles Francoeur dans l'édition du jeudi 14 décembre 2006 de Le Devoir puisque le quotidien restreint souvent l'accès à certains contenus de son site Web qu'à ses seuls abonnés. Cliquez sur le lien. Si l'article est accessible, vous pourrez également prendre connaissance des réactions et les suites de cette histoire.


Seuls les milieux humides d'envergure seront sauvés
Louis-Gilles Francoeur

Québec a édicté le 30 novembre dernier, sans tambour ni communiqué de presse, les règles qui permettront dorénavant aux fonctionnaires du ministère du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs (MDDEP) d'autoriser les promoteurs à assécher, remblayer et construire dans les marais et les milieux humides du Québec.


Selon cette directive obtenue par Le Devoir, seuls les grands milieux humides pourront trouver grâce devant les promoteurs et les constructeurs, mais à la condition d'être reliés à des cours d'eau en raison de leur pouvoir épurateur, d'abriter des espèces menacées végétales ou fauniques reconnues ou d'être constitués de tourbières ombrotrophes (bogs) ou minérotrophes (fens). Ces critères de protection ne toucheront que les milieux humides d'une superficie supérieure à cinq hectares dans les terres basses du Saint-Laurent ou dans la plaine du lac Saint-Jean et supérieure à dix hectares dans le reste de la province.

Un hectare correspond à la surface de deux terrains de football.

Ces règles, entérinées par le titulaire actuel du MDDEP, Claude Béchard, sont fort différentes de ce que son prédécesseur, Thomas Mulcair, vouait à la protection la plus complète dans une entrevue accordée au Devoir en mai 2005. Le ministre Mulcair, depuis lors évincé de son poste en partie à cause de sa volonté déclarée de protéger les milieux humides convoités par le lobby de l'immobilier et par les élus municipaux, voulait remplacer dès 2006 au moyen d'une loi spéciale l'actuel système «d'autorisation», qui permet les interventions humaines dans les milieux humides, par un système «d'interdiction» législative sans ambiguïté. Il s'engageait aussi à instituer une politique de «zéro perte nette» sur les terres publiques québécoises, comme celle du gouvernement fédéral, une politique qu'on ne retrouve plus dans les règles entérinées par le ministre Béchard.

Le plan de Thomas Mulcair, qui prévoyait d'interdire toute intervention dans les marais, marécages, tourbières, plaines inondables, rives et berges, a subi plusieurs altérations dans les mois qui ont suivi. Dans une autre entrevue accordée au Devoir en novembre 2005 par son nouveau sous-ministre adjoint au Développement durable, Léopold Gaudreault, le ministre n'entendait plus protéger complètement que 5000 des 25 000 marais de plus d'un hectare de la vallée du Saint-Laurent. Mais il s'en tenait toujours à une politique de «zéro perte nette» sur les terres de l'État. Aucune de ces deux règles n'a finalement survécu au changement de direction du ministère et aux pressions du lobby de l'immobilier.

Les nouvelles règles

En effet, si la présence d'un lien avec un cours d'eau, d'espèces menacées ou de tourbières dans un grand milieu humide peut servir à le protéger, le ministère se réserve quand même le droit, dans sa nouvelle politique, d'y autoriser quand même un projet si le promoteur démontre qu'il ne peut pas le réaliser ailleurs ou autrement.

La directive émise aux directions régionales le 30 novembre dernier, signée par Bob van Oyen, prévoit que le promoteur a toutefois plus de chances d'essuyer un refus s'il s'agit d'un grand milieu humide reconnu d'intérêt national ou régional, ce qui revient dans ce dernier cas à laisser la décision de le classer aux élus régionaux, souvent plus enclins à accroître leur assiette fiscale qu'à protéger les matrices de la vie au profit des générations futures.

Si le promoteur arrive à convaincre le ministère, il devra toutefois s'astreindre aux règles que ce dernier entend imposer pour protéger quelque peu les milieux humides de moyenne importance. Ceux-là sont définis comme faisant entre un demi-hectare et cinq hectares dans les basses terres du Saint-Laurent ou la plaine du lac Saint-Jean et entre un et dix hectares ailleurs au Québec. Ces milieux de taille moyenne, d'après la nouvelle classification, pourront d'autant plus facilement être sacrifiés qu'ils n'auront pas de lien avec des cours d'eau de surface ou un lac et n'abriteront ni tourbières ni espèces menacées ou vulnérables désignées de façon officielle.

Dans le cas des marais de moyenne importance, le MDDEP demandera au promoteur de trouver un «projet de remplacement ou un site de remplacement». Mais «si cela est impossible», prévoit la directive ministérielle, on demandera à l'heureux promoteur de «minimiser» tout au plus les impacts de son projet, qui pourra ainsi voir le jour à l'intérieur ou autour d'un milieu humide. On lui demandera alors d'éviter les «zones sensibles» de ce milieu humide -- lui-même sensible par définition --, de conserver «certains des éléments caractéristiques» du marais ou du marécage et de «maintenir des corridors biologiques et les liens hydrologiques entre les écosystèmes» restants. Enfin, on lui demandera de conserver, si la chose est encore possible, certaines des communautés naturelles.

Toute l'évaluation de ce dossier échappera à l'oeil scrutateur du public et des groupes environnementaux. L'exercice se déroulera derrière des portes closes entre fonctionnaires et consultants du promoteur. La politique ne prévoit pas la moindre divulgation des dossiers ou des évaluations scientifiques et ne prévoit aucunement d'enrichir la réflexion des fonctionnaires par la communication d'information, de mémoires et de recommandations de la part du public, même sous forme strictement écrite.

La nouvelle politique prévoit que les «pertes inévitables» de milieux humides seront compensées «en respectant un ratio de compensation proportionnel à la valeur écologique des milieux humides détruits ou perturbés». On précise que le site compensatoire devra, par ordre de priorité, se trouver sur le site même du projet, sur un site adjacent ou ailleurs dans le même bassin versant ou dans la même municipalité.

Un énorme flou subsiste toutefois car le ministère pourrait exiger en compensation de la perte d'un milieu humide qu'un promoteur achète à des fins de conservation un autre milieu humide à proximité, dont la richesse devrait lui valoir de toute façon une véritable protection. Dans ce scénario, on légalise la disparition de la moitié des milieux humides d'une région. L'autre scénario possible est celui de la politique «zéro perte nette», qui implique que, quelle que soit la solution retenue, une région conserve la même superficie en milieux humides et la même productivité biologique. Les pertes sont alors compensées par la création de nouveaux milieux humides et non par la protection de milieux existants.

Mais l'expression «zéro perte nette», classique dans ce type de dossier, n'apparaît nulle part dans la directive, de sorte qu'il est permis de penser que le ministère s'est satisfait du premier scénario.

Enfin, dans le cas des petits milieux humides, comme le révélait récemment Le Devoir, la porte est ouverte aux autorisations si ces milieux ne sont pas couplés à des plans d'eau et s'ils n'abritent ni tourbières ni espèces menacées ou vulnérables.

Ces petits milieux humides sont définis comme ayant une superficie inférieure à 0,5 hectare dans les basses terres du Saint-Laurent ou dans la plaine du lac Saint-Jean et inférieure à un hectare dans les autres régions du Québec.

Ce sont les professionnels embauchés par le promoteur qui attesteront de l'absence d'espèces menacées ou vulnérables dans un milieu humide convoité. Ce professionnel devra être spécialisé en écologie ou en biologie. Il pourra même s'agir d'un agronome spécialisé en horticulture. La directive ne précise pas ce qui arrivera des constructions érigées si les autorisations devaient être émises sur la foi de renseignements erronés, ni quel type de vérification effectuera le ministère.

Dans la vallée du Saint-Laurent, plus de 80 % des milieux humides ont été rayés de la carte lors de la construction ou de l'agrandissement des villes sur les rives ou aux embouchures des cours d'eau. Plusieurs spécialistes pensent que devant un tel état de fait, il faudrait plutôt protéger tout ce qui reste au lieu de continuer à rogner un héritage dilapidé en deux générations pour l'essentiel.


http://www.ledevoir.com/2006/12/14/124897.html#

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