Le Bocage - Journal du jardin


Carnet d'observations, d'expérimentations et de réflexions

dans le cours du jardinage d'un boisé en Haute-Amérique


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24 février 2007

Un drainage raisonné

photo M.-J. MusiolEnsoleillé, maximum -2 °C.

Grande séance de fendage de buches. En effet, un élagueur est venu cette semaine abattre et débiter le grand érable rouge malade sur le chemin de La Reposée. De quoi faire un bon deux cordons (ou deux fois 1,2 mètre cube ou un demi-stère) de bois de chauffage. Le coeur de l'arbre étant carié, le fendage s'effectue aisément.

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Ruisselet du Bocage en hiverSelon les données fournies par le service de statistiques, nombre de « googleurs » viennent visiter ce site à la recherche d'informations sur le drainage ou l'assèchement de leur jardin. « Comment drainer un jardin ? » « un terrain humide ? » Je n'ai pas la prétention de détenir une expertise officielle sur ce sujet spécifique. Cependant, je peux ici vous faire part de mon expérience personnelle et des multiples leçons que j'en tire.

Avant de devenir ce projet de jardin à l'ombre, Le Bocage était un boisé largement détrempé durant les semaines qui suivaient la fonte des neiges. Ensuite, l'eau continuait d'affleurer dans de nombreuses cuvettes lorsque les pluies étaient régulières. Avec le temps j'ai pu établir que le vallon avait autrefois été traversé par un ruisseau. Dans ces conditions, il aurait été souvent malaisé d'y marcher et jardiner. En outre, tel que recommandé par la Direction de la Santé publique, je voulais éliminer ces flaques qui constituaient autant de lieux de nidification pour les moustiques (à une époque où on s'inquiétait ici plus sérieusement des risques d'infection par le virus du Nil occidental).

J'ai donc invité au boisé un jardinier-paysagiste professionnel. Celui-ci me conseilla deux mesures. Premièrement, creuser une rigole peu profonde qui traverserait le terrain afin d'assécher les premiers centimètres du sol. Deuxièmement, établir un sentier légèrement surélevé avec le bois raméal fragmenté (BRF) provenant de mes coupes d'éclaircissement. Ce BRF devant se tasser et décomposer, je pourrais en étendre une autre couche ou opter pour la pose de gravier fin. J'ai suivi ces conseils. L'installation du sentier s'est fait la deuxième année et le développement du réseau de rigoles a pris trois étés.

La première question soulevée fut : comment concevoir les rigoles afin qu'elles ne soient pas elles-mêmes un lieu de nidification de moustiques si l'eau y stagne, ou de mouches noires si l'eau y est trop courante. Étonnamment, ce genre d'information n'était pas disponible dans la documentation offerte par les autorités environnementales et de santé publique. J'ai donc contacté le service de l'environnement de ma municipalité, la direction régionale de la Santé publique et le ministère québécois de l'Environnement. À aucun de ces endroits, on fut incapable de me répondre.


Terrain mal drainé ou milieu humide ?
Cependant, autant à la municipalité qu'au ministère, on m'a signalé qu'il me fallait d'abord vérifier si mon terrain n'était pas un milieu humide protégé. Voilà un point crucial. Il y a trois possibilités :
  1. Le terrain est, en tout ou en partie, un milieu humide. Dans plusieurs collectivités, une règlementation protège les milieux humides contre le drainage, l'assèchement ou autre forme de destruction. Le défi ne sera donc pas de drainer, mais bien au contraire de valoriser ce milieu humide.
  2. Le terrain n'est clairement pas un milieu humide, mais bien un espace occasionnellement détrempé, voire inondé. Le défi est alors simplement d'organiser un drainage adéquat.
  3. Le terrain, sans être formellement un milieu humide, présente une flore qu'on souhaite préserver pour l'essentiel. Le défi est alors d'assurer que les interventions soient parfaitement ajustées afin de drainer sans bouleverser l'écologie du milieu, ni compromettre la survie des plantes déjà établies. C'était le cas du Bocage.
Consulter cette page pour les critères de détermination.


Creuser ou relever ?
Si une intervention est possible et souhaitable, on a encore une fois deux options : creuser ou relever le niveau du sol. On peut aisément combiner les deux en récupérant la terre du creusage.

Ainsi, les cuvettes et dépressions peuvent être légèrement comblées pour créer des platebandes humides. Ou au contraire creusées pour créer un étang ou une rive de cours d'eau. C'est d'ailleurs souvent une meilleure option qu'un drainage de tout un terrain.

En fait, on peut aisément profiter d'une pluralité de platebandes plus ou moins humides selon leur élévation afin de diversifier les types de plantes pouvant croitre au jardin. Il ne s'agit alors que de bien identifier les différents types de milieux afin de sélectionner les plantes aux niches écologiques correspondantes.

Le Bocage est en pente légère et parsemé de roches. Il se prête donc mieux à être serpenté par des ruisselets qu'à l'établissement d'étangs. Les cuvettes ont été à peine comblées pour créer des platebandes humides (pour le myosotis palustris, par exemple).


Cours d'eau ou fossé ?
Si on opte pour le creusage de rigoles, il faut s'interroger à savoir s'il s'agira d'un simple sillon de platebande ou d'un fossé qui se rattachera au réseau municipal de fossés ou d'égouts de surface, ou s'il deviendra un cours d'eau au sein du système hydrographique local. Sur le plan de l'apparence, la différence peut être subtile. Cependant, les conséquences légales, elles, peuvent s'avérer considérables (consulter cette page pour plus de détails).

Dans le cas du Bocage, les registres municipaux signalaient un « cours d'eau » intermittent qui remontait officiellement jusqu'à l'exacte limite du terrain. Ce ruisselet résultait du détournement d'un ancien ruisseau vers la ligne délimitant deux suites de terrains aujourd'hui résidentiels. J'ai choisi de réhabiliter dans mon jardin l'ancien lit du ruisseau et de le raccorder au nouveau cours d'eau. Je compte bientôt faire reconnaitre les deux ruisselets ainsi formés dans la carte officielle du réseau hydrographique local. L'avantage est que, ce faisant, des bandes riveraines situées chez les voisins en amont et en aval de mon terrain recevront une protection légale contre certains types d'aménagements (construction d'immeuble ou aménagement d'un stationnement, par exemple).


Procéder avec prudence
Il vaut mieux procéder prudemment et par étapes à l'établissement des rigoles afin d'éviter un assèchement excessif devant être compensé par des arrosages.

L'eau est un élément puissant. En sol meuble ou sablonneux, l'eau peut rapidement creuser son propre lit. C'est d'ailleurs ainsi que j'ai procédé pour l'essentiel du réseau du jardin. Les jours où le terrain était gorgé d'eau ou sous la pluie, je creusais un mince sillon de quelques centimètres de large et d'à peine un seul de profond avec un petit râteau à feuille large d'une quinzaine de centimètres. Aussitôt, l'eau s'y engouffrait pour éroder cette entaille. Après quelques pluies, une rigole se dessine et se creuse. Évidemment, dans un sol glaiseux il faudra faire le travail soi-même.

L'avantage de cette méthode est qu'on dispose d'un niveau naturel. Pas besoin de calcul donc. L'eau nous indique immédiatement le degré d'inclinaison de la pente de la future rigole et sa vitesse d'écoulement. On procède alors de proche en proche, en descendant ou remontant. Pour Le Bocage, j'ai remonté à partir du cours d'eau dans lequel il fallait décharger en suivant chaque fois d'où l'eau avait tendance à venir. C'est d'ailleurs une des raisons pour laquelle cela m'a pris trois étés. Je ne pouvais suivre les veines d'eau que les jours suivant de grandes pluies. L'autre raison est que je voulais m'assurer de ne pas trop perturber la flore déjà existante à la surface. En outre, il fallait à chaque pluie aider à ce que l'eau creuse uniformément le lit des rigoles. Enfin, je ne consacrais jamais plus que quelques minutes par jour de pluie « soutien au creusage » effectué par l'eau.


Restreindre la penteCascatelle no 1 du Bocage en hiver

Il est important de maintenir une pente douce pour que l'eau s'écoule aisément, mais lentement. Sinon, on risque une érosion, donc un creusage excessif des rigoles et perte de sol, donc un drainage démesuré. Un courant fort peut aussi encourager la prolifération de mouches noires.

Deux solutions s'offrent ici. La première est de créer des sinuosités dans le parcours de l'eau. Tout allongement réduit d'autant la pente, tout en donnant une allure plus naturelle qu'un fossé rectiligne. La seconde solution est la mise en place de petites cascades dont le glougloutement égayera le jardin. Cinq cascatelles coupent la pente du réseau très sinueux du réseau du Bocage.


Décantation
Prévoir un bassin de décantation à la sortie du terrain afin de récupérer le limon entrainé par l'eau. En effet, vaut mieux récupérer pour soi ce matériau fertile plutôt que d'engraisser (et donc polluer) lacs et marais plus en aval dans le bassin versant.

Seulement l'été dernier, j'ai ainsi récupéré un demi-mètre cube (ou au-delà d'une demi-tonne si vous préférez) de limon dans le bassin de décantation de la décharge.

Un bassin de décantation est un espace où l'eau peut ralentir suffisamment pour avoir le temps de se décharger de ses matières en suspension. Un tel ralentissement est possible lorsque le volume d'eau est considérablement plus grand que le débit ordinaire de la rigole. Un obstacle peut faire augmenter la profondeur et un élargissement la surface de l'eau, et donc ensemble son volume. C'est dans la cuvette ou le réservoir ainsi formé que s'accumulera le limon.


Le lit
Après discussion, les membres du forum jardinage.net ont conclu que le meilleur lit est celui à même le sol. Pas de lit gravier ou de galets de rivière donc. L'entretien est plus facile. On peut plus aisément rectifier le lit pour éviter les petites cuvettes propices à la nidification des moustiques. La gestion de l'eau en cas de sècheresse (voir plus bas) est aussi simplifiée.


Les roches
Les cycles gel-dégel tendent à élargir les passages entre roches bien ancrées dans le sol. En effet, un de mes ruisselets doit ainsi se faufiler à un étranglement ainsi formé. J'ai cependant remarqué qu'après un premier hiver, ce couloir s'était déjà agrandi de quelques millimètres.


Entretien
Une fois établie, les rigoles ne demandent qu'à être ponctuellement débarrassées des débris, telles les feuilles mortes à l'automne, qui s'y retrouvent. Autrement, l'eau fait elle-même le travail de nettoyage.

Durant la période d'établissement, il faut prendre quelques minutes pendant et après chaque pluie importante pour effectuer quelques rectifications du lit.


Par temps de sècheresse
Les rigoles peuvent servir à retenir l'eau, plutôt que la drainer. J'ai découvert cela en observant l'effet d'une importante chute de feuilles mortes sur le débit. On peut donc garder une réserve de feuilles mortes ou de paillis en vue des périodes de canicules. Déposée en des points stratégiques du réseau de rigoles, cette matière ralentit considérablement la vitesse d'écoulement et l'évaporation ainsi que favorise l'absorption de l'eau par le sol. Là où le débit pourrait être trop important pour cette solution, l'installation d'une succession de petits barrages-réservoirs temporaires ou amovibles aura un effet similaire.

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